PALAIS DES ARTS
DU 28 SEPTEMBRE 2007 AU 20 JANVIER 2008
La Fondation Regards de Provence rapproche Honoré Daumier (1808-1879) et Albert Dubout (1905-1976) le temps d’une rétrospective - deux artistes originaires de Marseille, qui à près d’un siècle d’intervalle, choisirent d’exprimer leur art en s’inspirant du monde dans lequel ils ont évolué. Cette exposition présente plus de 170 dessins, affiches, tableaux et sculptures des deux artistes.
L’un comme l’autre possèdent un talent exceptionnel de dessinateur, dotés d’une surprenante facilité et d’une dextérité incroyable qui provoquèrent une quantité considérable d’œuvres dans les deux cas. Ils ont la même puissance dans des graphismes respectifs et des registres différents et se rejoignent pour leur prédominance pour une satire sociale. Ils expriment également leur art par la peinture à l’huile et firent preuve d’une grande sensibilité et d’une étonnante pratique dans cette technique, donnant à regretter le peu d’œuvres existantes. Leur art dénote une véritable intelligence descriptive et une forte émotion narrative. Ils furent caricaturistes et humanistes, dans un répertoire de peinture sociale. Toute leur réflexion, chez l’aîné comme chez le cadet, tourne autour de l’observation profonde du monde qui les entoure et reflète des témoignages véridiques de leur temps, dépourvus de méchanceté. Par une rare science du dessin, merveilleusement maîtrisé, leurs caricatures stigmatisent les vices de leurs contemporains, mais soulignent, au-delà du ridicule et d’un réalisme psychologique exacerbé, le pathétique et la fragilité de l’humain. Ils alimentent régulièrement de dessins des journaux et des ouvrages et touchent ainsi rapidement, l’un comme l’autre, un public étendu et gagnent en notoriété. La modernité du XXème siècle, la technicité de la presse, ses tirages et diffusions plus conséquents, permit à Dubout de captiver un public plus vaste et populaire.
De l’observation de la vie quotidienne, ils partagent le même intérêt pour de nombreux sujets : les moyens de transports : pataches, diligences, trains ; le monde des loisirs : les piscines, la chasse ; les milieux de la basoche et des fonctionnaires ; celui de la petite bourgeoisie,… parmi bien d’autres thèmes. Illustrateurs, ils se passionnèrent pour des figures de légende, comme Gargantua ou Don Quichotte et son écuyer Sancho Panza, s’affrontant, l’un comme l’autre, aux textes de Rabelais et de Miguel de Cervantes.
- Honoré Daumier (Marseille 1808 – Valmondois 1879).
Très jeune, Honoré Daumier fréquente le Louvre, se passionne pour l’art antique (Le Titien, Rubens) et s’adonne à croquer des scènes de rue. Il suit l’enseignement du dessin, étudie les rudiments de la peinture et apprend la lithographie, technique dans laquelle il trouve un mode d’expression et de subsistance. En 1830, il publie ses premières caricatures dans le journal La caricature, sous le nom de Rogelin.
La révolution de 1830 crée une véritable fièvre caricaturale et c’est la belle époque pour cet art du dessin. Tous les artistes de valeur du moment apportent leurs contributions à ces archives comiques, leurs contingents de bouffonneries historiques.
Daumier suit les séances du Parlement et, de mémoire chez lui, modèle avec de la glaise les physionomies des orateurs, d’où aboutit la série des hommes politiques de 1832. Dans sa manière d’appréhender les choses en trois dimensions, on retrouve tout naturellement dans son œuvre peinte et dessinée un caractère sculptural.
À ses débuts dans le journalisme, Daumier collabore avec divers journaux antigouvernementaux. Les articles et dessins publiés sont virulents, prenant position au nom des courants littéraires et artistiques et dénonçant les perquisitions, les arrestations, les « assomades » de la police, les procès, les emprisonnements – dévoilant une triste et triviale réalité de l’époque.
L’engagement politique de Daumier fut réel. Les dessins satiriques qui représentent Louis-Philippe sont très appréciés des lecteurs et Daumier acquiert vite une notoriété et certaine célébrité. Cependant, il fait partie de ces artistes, comme Courbet à cette même époque, qui n’hésitent pas à prendre des risques d’encourir et de subir des condamnations, en s’opposant parfois aux pouvoirs en place. La caricature du Roi Louis-Philippe représenté en Gargantua et une autre lithographie « Ils ne sont qu’un » furent saisies et valurent à Daumier six mois de prison, du 31 août 1832 au 27 janvier 1833.
La Loi sur la censure du Second Empire l’entraine à renoncer à la publication de ses caricatures politiques pour désormais se consacrer à la satire sociale. Daumier, le citoyen, devient le défenseur éloquent de la liberté menacée et parallèlement se fait le dessinateur des mœurs et scènes populaires de son époque.
Ainsi, toute sa vie durant, il aborde de nombreux sujets, comme « l’Exposition Universelle », les mœurs conjugales, la circulation urbaine, les bourgeois niais, l’atelier d’artiste et les amateurs d’art, les loisirs , les diligences prises d’assaut et le train (autre lieu de rencontre dont il s’attache à décrire la compression de la 3ème classe), et aussi des ambiances de rues, le temps des vendanges, l’ouverture de la chasse, les dimanches à la campagne,… Il dépeint aussi des avocats, des saltimbanques, des artistes, des amateurs d’art,…faisant preuve dans son dessin d’une grande intelligence du grotesque.
Daumier est un artiste moderne, qui a su vivre et figer, en tant que dessinateur, graveur, sculpteur et peintre, les rebondissements de l’histoire, les passions, les souffrances, les mimiques de ses contemporains et de l’être humain en général. Son œuvre est dotée d’une indéniable science de la composition et ses mises en page sont remarquablement ordonnées. Il dessine en sculpteur et dégage des masses qui mettent en lumière la puissance plastique de ses figures.
- Albert Dubout (Marseille 1905 – Saint-Aunès 1976)
Albert Dubout est inscrit à l’Ecole municipale des beaux-arts de Montpellier en 1922, du fait de ses dispositions évidentes pour le dessin. Très vite, son coup de crayon rencontre un certain succès et, en 1923, ses premiers dessins paraissent dans L’Echo des Etudiants de Montpellier et dans Le Petit Méridional.
Il part à Paris, dans l’espoir d’exaucer son rêve de faire du cinéma, et, encouragé par son entourage, il dessine énormément, constituant ainsi « un répertoire de têtes qui me permettra bientôt de dessiner dans des journaux », écrit-il à sa mère. Rapidement, il commence une intense collaboration avec plusieurs périodiques : La Bataile, Candide, Fantasio, Gens qui rient, Gringoire, Le Journal amusant, Marianne, Paris-Flirt, Ric et Rac, Le Rire.
En 1925, sa rencontre avec le poète Philippe Soupault est importante, car elle augure sa carrière d’illustrateur d’œuvres littéraires. Il illustre plus d’une soixantaine d’ouvrages d’auteurs très différents – classiques (Rabelais, Voltaire, Molière) et contemporains (Frédéric Dard, Marcel Pagnol, Philippe Bouvard) -, dont certains comportent plusieurs volumes d’une grande richesse d’images (Carmen, le Barbier de Séville, Gargantua, Poésies de Villon, Tartarin).
En 1936, il fait la connaissance de Marcel Pagnol, dont il devient l’ami intime et réalise pur lui une douzaine d’affiches, dans les années cinquante. Il travaille également pour une vingtaine d’autres productions cinématographiques et endosse pareillement le rôle de publicitaire pour vanter divers produits.
En 1953, le nom de Dubout apparaît dans le Dictionnaire Larousse, en même temps que celui de Picasso : « Dessinateur humoristique français. Il est l’auteur de compositions burlesques à nombreux personnages, d’une cocasserie minutieuse ».
Commentateur du quotidien, Dubout est l’agenda de la mémoire collective – une sorte de miroir d’époques oubliées. Le dessinateur représente tout à la fois du délire dans la confusion et une originalité graphique très structurée. Le romancier Frédéric Dard parle du petit monde de Dubout, le qualifiant d’un « carnaval quotidien ». Dubout a perçu, plus qu’un autre, les bouleversements nés du Front-Populaire : les premiers congés payés, la découverte de la mer ou de la montagne pour les citadins, les bagages, les plages, la re-découverte de la nature oubliée, les loisirs et les sports, les moyens de locomotion. Les ronds de cuir, les fonctionnaires sont des sujets de choix, et Dubout se passe de texte pour dénoncer la bureaucratie et les encombrements administratifs.
Les scènes à Marseille dévoilent une prolifération d’innombrables spectateurs hors de proportion, faisant un cadre sur la feuille de papier pour mettre en évidence deux joueurs de pétanque qui mesurent un point contestable. On est tout près de l’émeute et le silence est palpable, l’embouteillage se crée et la circulation est bloquée, la vie s’arrête…
Dubout est essentiellement connu du grand public, comme le créateur d’une image mythique : celle d’une monumentale maîtresse femme, aux mensurations impressionnantes, entraînant littéralement dans son sillage un mari fluet et l’écrasant éventuellement entre sa poitrine.
Le peintre Dubout est moins connu, mais près de soixante-dix toiles ont été recensées, toutes de bonne facture et révélant que cette passion n’avait rien d’une fantaisie d’amateur. Dubout joue avec la matière, dans les détails de l’habit d’apparat, – l’uniforme des toreros (ses personnages préférés) – ou dans des paysages proches souvent du monde taurin.
Son graphisme étonnant laisse découvrir toute l’humanité, la tendresse et la poésie dont il était habité. Son œuvre a su influencer de nombreux autres dessinateurs humoristiques (Georges Wolinski, Cabu, Reiser) qui lui succédèrent et ont perpétué une sorte d’humour à la française qui n’est pas prêt de disparaître.